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Les Reloux
29 juillet 2015

Une histoire de gare {Post sans couture ni tricot ni enfant}

Quand je pars en déplacement pour mon boulot, c’est-à-dire toutes les deux semaines, je prends systématiquement le même train. Tôt. Gare de l’Est.

Petit aparté – Pour mon premier déplacement, j’avais failli rater mon train. A peine arrivée sur le quai du métro, j’avais compris qu’il y avait un problème. Le quai était bondé et aucune rame ne circulait. Un « incident voyageur ». Le temps de réaliser que j’étais déjà partie trop tard de chez moi pour avoir de la marge même avec un métro en état de fonctionner, je m’étais précipitée dehors et avais cherché un taxi, tout en commençant, doucement mais sûrement, à pleurer comme une gosse. La perspective de rater mon train pour mon premier déplacement dans ce nouveau travail, mêlée à l’angoisse présente depuis quelques jours, de partir seule dans une contrée éloignée pour rencontrer de nouveaux collègues du cru avec mon étiquette "parisienne" sur le front, et aux larmes qui ne cessaient maintenant de couler me brouillant sérieusement la vue, avaient bien failli me faire louper le taxi qui passait pourtant terriblement lentement devant moi. Heureusement, dans un sursaut inespéré (et désespéré), je l’avais hélé, étais montée dedans en expliquant au chauffeur tout petit et très souriant qu’avoir ce train n’était pour moi ni plus ni moins qu’une question de vie ou de mort, ce à quoi il avait répondu « on va l’avoir madame, on est large ». J’avais douté mais dans un accès de confiance envers cet inconnu et sa guimbarde qui ne payaient pourtant de mine ni l'un ni l'autre, j’avais séché énergiquement mes larmes et tenté de reprendre contenance, égrenant les noms des rues que nous empruntions et celles que nous croisions, les éliminant l’une après l’autre de mon esprit pour enfin atteindre, cinq grosses minutes avant le départ de mon train, la gare. M’étant délestée d’un gros pourboire, pleine de reconnaissance envers ce petit homme souriant qui venait, ni plus ni moins, de me sauver la vie (toutes proportions gardées), j’avais pu prendre mon train en toute quiétude et voguer tranquillement vers cette nouvelle aventure professionnelle et humaine qui s’ouvrait devant moi.

Forte de cette expérience, traumatisante s’il en est, je me suis, dès mon deuxième déplacement, forcée à quitter mon domicile une heure avant le départ du train et depuis je ne déroge jamais à cette règle. Il en va de ma santé mentale et de ma conscience professionnelle madame.

Il y a quelques semaines, j’arrivais Gare de l’Est, avec comme à chaque fois - donc - une bonne demi-heure d’avance. Comme à chaque fois, j’hésitai à m’acheter un café dans l’un des nombreux kiosques présents devant les quais.

Second petit aparté – Une fois, j’avais voulu m’acheter un café dans une machine, l’un de ces breuvages dégueulasses qui, pour quelques dizaines de cents et en quelques secondes, vous retournent les boyaux et vous brûlent la langue et / ou le palais. La machine avait docilement avalé mon argent, mais s’était bien gardée de me délivrer en échange le breuvage, autant attendu que redouté. J’avais pesté, noté le numéro indiqué sur la machine à appeler en cas de « problème » en me jurant de rappeler aux horaires d’ouverture. Et puis, je m’étais dirigée, confiante, vers la machine suivante. Rebelote. J’avais pensé très fort « féchiélabiiiite » et fini par attendre mon train en faisant défiler compulsivement des dizaines de photos sur Instagram, un œil endormi sur le panneau « Départs grandes lignes ». Sans café.

La nuit avait été trop courte et le réveil trop dur et je décidai donc de me payer un café au kiosque. Je comptais bien être suffisamment réveillée pour regarder une série dans le train en tricotant (ou l'inverse), sans risque de m’endormir sur mon voisin de train, la bave au coin des lèvres.

Je commandai un grand crème et m’installai pour le boire au petit comptoir un peu après la caisse.

J’en étais encore à pester intérieurement car je n’avais pas manqué comme d’habitude de me brûler le palais, lorsque je la vis.

Elle n’avait pas changé. Pourtant je ne l’avais pas vue depuis environ huit ans. A l’époque, je la voyais tous les jours lorsque j’arrivais au bureau. Elle y tenait le standard de ma boîte. Elle était souriante, chaleureuse, adorable. Elle avait un phrasé particulier, qu’elle tenait de sa Hollande natale. Elle avait annoncé un jour qu’elle quittait l’entreprise pour suivre son mari et rentrer « chez elle » en Hollande. J’avais trouvé ça triste, j’avais été touchée par son départ, elle qui travaillait là depuis bien avant mon arrivée. Et puis, même les gens qu’on pense irremplaçables sont vite remplacés et on passe à autre chose. Je n’avais ensuite plus eu de nouvelles d’elle.

Et voilà que je me retrouvais à quelques mètres d’elle, à 7h30 du matin, en train de me brûler le palais.

Je la regardai longuement. Les souvenirs remontant peu à peu du fond de ma mémoire, pendant qu’elle payait son café à la caisse que j’avais empruntée quelques minutes plus tôt.

Et puis, j’eus un doute. Insidieux mais bien présent. « Est-ce bien elle ? »

C’était étrange, elle n’avait quasiment pas changé, elle semblait presque plus jeune que moi alors qu’elle avait bien dix ans de plus que moi à l’époque. C’est complètement con ce que je dis, si elle avait dix ans de plus que moi il y a huit ans, elle les a forcément toujours. Sauf si elle a tâté du bistouri. Mmmmmhh pas trop son genre. Mais ça n’est pas possible que ce soit quelqu’un d’autre, c’est ELLE ! Un peu ronde, mais plutôt jolie, je dirais même appétissante, des yeux bleus, des lunettes, des cheveux mi longs très blonds. La même qu’à l’époque !

Je me forçais à ne pas trop la scruter, tout en la regardant de manière suffisamment insistante pour capter son regard sans avoir l’air trop… insistante. Je n’étais pas sûre qu’elle m’ait vue. Son regard avait bien traîné quelques secondes dans ma direction mais il n’était pas évident qu’elle m’ait vue. Son visage n’avait montré aucune réaction. J’en étais un peu vexée, car même s’il était possible que j’aie beaucoup changé (ou vieilli) (ou grossi) (ou les deux), il me semblait que j’avais toujours à peu près la même tête que huit ans plus tôt (les gens me disent toujours que je ne change pas, mais là du coup j'ai un doute sur leur honnêteté). Je commençais à envisager la possibilité qu’elle ne m’ait pas reconnue car elle m’avait tout simplement complètement oubliée. Cette pensée me vexa bien plus que l’idée que quelques kilos aient pu modifier complètement ma silhouette et mon visage jusqu’à me rendre proprement méconnaissable.

Je n’étais pas assez proche d’elle pour entendre ce qu’elle disait quand elle avait commandé son café mais, en essayant de lire sur ses lèvres, je crus reconnaître la façon qu’elle avait de bouger les lèvres et ce petit accent si particulier, si doux qu'il pouvait presque passer inaperçu. Ca ne pouvait être qu'elle.

Je me dis qu’il était dommage de ne pas aller lui parler, car c’était quelqu’un que j’avais bien aimé et qu’elle serait sûrement contente de me revoir.

Ne sachant trop quoi décider, je commençai à m'imaginer notre entretien. On échangerait quelques mots, on rigolerait, on demanderait des nouvelles des anciens collègues, elle me dirait « ah bon, tu n’y travailles plus ? », je lui dirais que non, que j’ai changé de travail, mais que j’ai encore beaucoup d’amis là-bas, je lui demanderais des nouvelles de ses enfants qui devaient être grands maintenant, elle me demanderait des nouvelles de mes filles, je lui dirais qu'elles vont très bien et que j’en ai eu une troisième et que je suis bien fatiguée même si les enfants c’est le plus beau cadeau de la vie, bla bla bla. Et puis, viendrait inexorablement le moment où on ne saurait plus quoi se dire, où il faudrait prendre congé l’une de l’autre. Comment finir cet entretien ? Devais-je lui demander ses coordonnées ?

Car oui, comment se dire qu’on tombe par hasard sur quelqu’un qu’on n’a pas vu depuis huit ans, qu’on est content de le revoir mais qu’on trouve naturel de décider de le perdre de vue à nouveau ? Pourtant, je savais que si je lui demandais ses coordonnées, ou si elle me demandait les miennes, ni elle ni moi ne ferions le premier pas pour revoir l’autre. Cela n’avait aucun sens. Nous n’avions pas été amies, ni même copines, juste deux personnes qui se voient tous les jours et qui s’apprécient. Cela ne suffit pas pour échanger des numéros de téléphone et envisager de se revoir. Et il était hors de question pour moi de lui demander ses coordonnées tout en me disant que je ne les utiliserai jamais. Question d'honnêteté. Je commençais à angoisser à l’idée de cette fin d'entretien avant même d'avoir décidé si je devais ou non aller à sa rencontre. N'importe quoi.

Je ne sais combien de fois en buvant mon café je me suis dit qu’il fallait que j’aille la saluer ni combien de fois je me suis ravisée. Je la regardais boire son café les yeux dans le vague.

Et puis, elle a quitté le kiosque, fait quelques pas et s’est arrêtée devant le panneau « Départ grandes lignes ». Je me suis dit qu’elle allait finir par partir pour prendre son train et me suis décidée à aller la voir. Pour ne pas regretter. J’ai néanmoins attendu qu’il soit suffisamment tard pour que notre conversation ne puisse durer que quelques minutes avant que je m’échappe en lui lançant dans la hâte « je te laisse, j’ai mon train à prendre, c’était vraiment chouette de te revoir ! ». Sans lui demander ses coordonnées. Histoire de rester droite dans mes bottes.

Je quittai donc moi aussi le bar du kiosque et me dirigeai vers elle. A mesure que je m’approchais d’elle, j’admirais la façon qu’elle avait eue de rester jeune et me trouvais de plus en plus boudinée dans mon jean.

Je m’arrêtai devant elle.

Moi : « Bonjour, tu es Madeleine ? »

Elle : « Euh non, je ne suis pas Madeleine non »

Moi : « … »

Elle : « … ? »

A ce moment précis, je sus que ce n’était effectivement pas Madeleine. Elle n'avait jamais eu un tel regard de dédain. Et cette fille n’avait aucun putain d’accent ! Mais je n’y croyais pas tant la ressemblance, même de près, était saisissante.

Moi (horrifiée) : « Ah euh je suis désolée, je vous ai prise pour quelqu’un d’autre. Mais vous ne travailliez pas chez Silas ? »

Elle : « ?... Euh non pas vraiment non. Mais c’est la deuxième fois qu’on me prend pour quelqu’un qui a travaillé là-bas… »

Moi : « Ah bon, c’est drô….. »

Elle : « Oui je vous ai vue me regarder tout à l’heure au café… »

Moi : « Ah… je suis déso… »

Lui : « Ah salut, t’as composté ton billet ? » (un mec avec une gueule de collègue)

Elle : « Oh salut ! (sourire con) Oui ça y est ! On part voie 19… Ça va ? Pas trop dur le réveil ? hein hein hein… » (rire con)

Moi : « Bon ben désolée, je me suis trompée, mais c’est dingue comme vous lui ress…. »

Elle : « Ouais au revoir… (S'éloignant aux côtés du collègue) T’as pris la présentation pour la réunion ? J’ai mon ordi au cas où… »

Tout ça pour ça.

Ce qui m’a plu dans cette histoire c’est le fait de me dire qu’une autre personne que moi, qui avait travaillé dans la même boîte que moi, ait pu, quelques mois ou années plus tôt, tomber sur cette même personne, se poser les mêmes questions que moi et l’aborder comme moi.

Et se prendre un gros vent, comme moi.

Ensuite j’ai pris mon train, mon tricot sous le bras et ma cloque au palais.

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Commentaires
B
J'adore! Tres beau recit. Il m'a tenu en haleine et je me suis reconnue dans tes reflections. Merci ;-)
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L
Quelle jolie plume tu as, Céline! C'est quand même fou, cette histoire. J'imagine ta déconfiture au moment exact où tu as réalisé que ce n'était pas elle. Merci d'avoir partagé !
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A
J'ai tout lu !! Quel suspens !!!! Pour finir tu as vraiment bien fait de l'aborder, tu aurais longtemps regretté de ne pas l'avoir fait !!! Biz
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T
Punaise ce que j'aime lire tes écrits! <br /> <br /> Ce texte m'aura rappelé un trajet Bruxelles-Paris en Thalys il y a quelques années. Je m'étais endormie quelques minutes après le départ et réveillée juste avant d'arriver à Paris. La bouche ouverte (j'avais donc du ronfler 😳), la tête sur l'épaule de mon voisin. Sur la veste duquel j'ai découvert une vieille bavouille dont j'ai encore honte aujourd'hui...
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T
Punaise ce que j'aime lire tes écrits! <br /> <br /> Ce texte m'aura rappelé un trajet Bruxelles-Paris en Thalys il y a quelques années. Je m'étais endormie quelques minutes après le départ et réveillée juste avant d'arriver à Paris. La bouche ouverte (j'avais donc du ronfler 😳), la tête sur l'épaule de mon voisin. Sur la veste duquel j'ai découvert une vieille bavouille dont j'ai encore honte aujourd'hui...
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